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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

était rouge, ses bas se crottaient ; sa soutane, reprisée chaque matin par sa mère, ressemblait à la loque lamentable, usée, blanchie, qu’il portait dans les premiers temps.

— Bah ! elle est encore très-bonne, répondait-il, lorsqu’on hasardait autour de lui quelques timides observations.

Et il l’étalait, la promenait dans les rues, la tête haute, sans s’inquiéter des étranges regards qu’on lui jetait. Il n’y avait pas de bravade dans son cas ; c’était une pente naturelle. Maintenant qu’il croyait ne plus avoir besoin de plaire, il retournait à son dédain de toute grâce. Son triomphe était de s’asseoir tel qu’il était, avec son grand corps mal taillé, sa rudesse, ses vêtements crevés, au milieu de Plassans conquis.

Madame de Condamin blessée de cette odeur âcre de combattant qui montait de sa soutane, voulut un jour le gronder maternellement.

— Savez-vous que ces dames commencent à vous détester ? lui dit-elle en riant. Elles vous accusent de ne plus faire le moindre frais de toilette… Auparavant, lorsque vous tiriez votre mouchoir, il semblait qu’un enfant de chœur balançât un encensoir derrière vous.

Il parut très-étonné. Il n’avait pas changé, croyait-il. Mais elle se rapprocha, et d’une voix amicale :

— Voyons, mon cher curé, vous me permettrez de vous parler à cœur ouvert… Eh bien ! vous avez tort de vous négliger. C’est à peine si votre barbe est faite, vous ne vous peignez plus, vos cheveux sont ébouriffés comme si vous veniez de vous battre à coups de poing. Je vous assure, cela produit un très mauvais effet… Madame Rastoil et madame Delangre me disaient hier qu’elles ne vous reconnaissaient plus. Vous compromettez vos succès.

Il se mit à rire, d’un rire de défi, en branlant sa tête inculte et puissante.