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LES ROUGON-MACQUART.

les armoires restent ouvertes, Rose salit les pièces avec son balai… Et Rose, pourquoi n’est-elle pas venue ? Ah ! quelle tête ! En voilà une dont nous ne ferons jamais rien ! Tu ne sais pas, elle a voulu me mettre à la porte, un jour. Parfaitement… La maison est à elle, c’est à mourir de rire… Mais tu ne me parles pas des enfants ? Désirée est toujours chez sa nourrice, n’est-ce pas ? Nous irons l’embrasser, nous lui demanderons si elle s’ennuie. Je veux aussi aller à Marseille, car Octave me donne de l’inquiétude ; la dernière fois que je l’ai vu, je l’ai trouvé bien dissipé. Je ne parle pas de Serge : celui-là est trop sage, il sanctifiera toute la famille… Tiens, cela me fait plaisir de parler de la maison.

Et il parla, parla toujours, demandant des nouvelles de chaque arbre de son jardin, s’arrêtant aux détails les plus minimes du ménage, montrant une mémoire extraordinaire, à propos d’une foule de petits faits. Marthe, profondément touchée de l’affection tatillonne qu’il lui témoignait, croyait voir une délicatesse suprême dans le soin qu’il prenait de ne lui adresser aucun reproche, de ne pas même faire la moindre allusion à ses souffrances. Elle était pardonnée ; elle jurait de racheter son crime en devenant la servante soumise de cet homme, si grand dans sa bonhomie ; et de grosses larmes silencieuses coulaient sur ses joues, pendant que ses genoux se pliaient pour lui crier merci.

— Méfiez-vous, lui dit le gardien à l’oreille ; il a des yeux qui m’inquiètent.

— Mais il n’est pas fou ! balbutia-t-elle ; je vous jure qu’il n’est pas fou !… Il faut que je parle au directeur. Je veux l’emmener tout de suite.

— Méfiez-vous, répéta rudement le gardien, en la tirant par le bras.

Mouret, au milieu de son bavardage, venait de tourner sur lui-même, comme une bête assommée. Il s’aplatit par