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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

Moi qui ai des enfants, j’ai fait condamner ma porte avec deux bons clous.

Il cligna les yeux en regardant l’abbé, espérant peut-être que celui-ci allait lui demander quelles étaient ces allées et venues mystérieuses. Mais l’abbé ne broncha pas ; il examina l’impasse des Chevillottes, sans plus de curiosité, il ramena paisiblement ses regards dans le jardin des Mouret. En bas, au bord de la terrasse, à sa place ordinaire, Marthe ourlait des serviettes. Elle avait d’abord brusquement levé la tête en entendant les voix ; puis, étonnée de reconnaître son mari en compagnie du prêtre, à une fenêtre du second étage, elle s’était remise au travail. Elle semblait ne plus savoir qu’ils étaient là. Mouret avait pourtant haussé le ton, par une sorte de vantardise inconsciente, heureux de montrer qu’il venait enfin de pénétrer dans cet appartement obstinément fermé. Et le prêtre par instants arrêtait ses yeux tranquilles sur elle, sur cette femme dont il ne voyait que la nuque baissée, avec la masse noire du chignon.

Il y eut un silence. L’abbé Faujas ne semblait toujours pas disposé à quitter la fenêtre. Il paraissait maintenant étudier les plates-bandes du voisin. Le jardin de M. Rastoil était disposé à l’anglaise, avec de petites allées, de petites pelouses, coupées de petites corbeilles. Au fond, il y avait une rotonde d’arbres, où se trouvaient une table et des chaises rustiques.

— Monsieur Rastoil est fort riche, reprit Mouret, qui avait suivi la direction des yeux de l’abbé. Son jardin lui coûte bon ; la cascade que vous ne voyez pas, là-bas, derrière les arbres, lui est revenue à plus de trois cents francs. Et pas un légume, rien que des fleurs. Un moment, les dames avaient même parlé de faire couper les arbres fruitiers ; c’eût été un véritable meurtre, car les poiriers sont superbes. Bah ! il a raison d’arranger son jardin à sa convenance. Quand on a les moyens !