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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

Ah ! monsieur l’abbé, il faut vous rendre une justice : vous n’êtes pas curieux. Comment ! depuis un mois que vous êtes ici, vous ne savez seulement pas que monsieur Rastoil donne à dîner tous les mardis ! Mais ça crève les yeux, de cette fenêtre !

Mouret eut un léger rire. Il se moquait de l’abbé. Puis, d’un ton de voix confidentiel :

— Vous voyez, ce grand vieillard qui accompagne madame Rastoil ; oui, le maigre, l’homme au chapeau à larges bords. C’est monsieur de Bourdeu, l’ancien préfet de la Drôme, un préfet que la révolution de 1848 a mis à pied. Encore un que vous ne connaissiez pas, je parie ?… Et monsieur Maffre, le juge de paix ? ce monsieur tout blanc, avec de gros yeux à fleur de tête, qui arrive le dernier avec monsieur Rastoil. Que diable ! pour celui-là vous n’êtes pas pardonnable. Il est chanoine honoraire de Saint-Saturnin… Entre nous, on l’accuse d’avoir tué sa femme par sa dureté et son avarice.

Il s’arrêta, regarda l’abbé en face et lui dit avec une brusquerie goguenarde :

— Je vous demande pardon, mais je ne suis pas dévot, monsieur l’abbé.

L’abbé fit de nouveau un geste vague de la main, ce geste qui répondait à tout en le dispensant de s’expliquer plus nettement.

— Non, je ne suis pas dévot, répéta railleusement Mouret. Il faut laisser tout le monde libre, n’est-ce pas ?… Chez les Rastoil, on pratique. Vous avez dû voir la mère et les filles à Saint-Saturnin. Elles sont vos paroissiennes… Ces pauvres demoiselles ! L’aînée, Angéline, a bien vingt-six ans ; l’autre, Aurélie, va en avoir vingt-quatre. Et pas belles avec ça ; toutes jaunes, l’air maussade. Le pis est qu’il faut marier la plus vieille d’abord. Elles finiront par trouver, à cause de la dot… Quant à la mère, cette petite