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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

Cette plaisanterie acheva d’enchanter Mouret. Il se rapprocha de l’abbé, de l’air d’une commère qui va en dire long.

— Plassans est fort curieux, au point de vue politique. Le coup d’État a réussi ici, parce que la ville est conservatrice. Mais, avant tout, elle est légitimiste et orléaniste, si bien que, dès le lendemain de l’empire, elle a voulu dicter ses conditions. Comme on ne l’a pas écoutée, elle s’est fâchée, elle est passée à l’opposition. Oui, monsieur l’abbé, à l’opposition. L’année dernière, nous avons nommé député le marquis de Lagrifoul, un vieux gentilhomme d’une intelligence médiocre, mais dont l’élection a joliment embêté la sous-préfecture… Et regardez, le voilà, monsieur Péqueur des Saulaies ; il est avec le maire, monsieur Delangre.

L’abbé regarda vivement. Le sous-préfet, très-brun, souriait, sous ses moustaches cirées ; il était d’une correction irréprochable ; son allure tenait du bel officier et du diplomate aimable. À côté de lui, le maire s’expliquait, avec toute une fièvre de gestes et de paroles. Il paraissait petit, les épaules carrées, le masque fouillé, tournant au Polichinelle. Il devait parler trop.

— Monsieur Péqueur des Saulaies, continua Mouret, a failli en tomber malade. Il croyait l’élection du candidat officiel assurée… Je me suis bien amusé. Le soir de l’élection, le jardin de la sous-préfecture est resté noir et sinistre comme un cimetière ; tandis que chez les Rastoil, il y avait des bougies sous les arbres, et des rires, et tout un vacarme de triomphe. Sur la rue, on ne laisse rien voir ; dans les jardins, au contraire, on ne se gêne pas, on se déboutonne… Allez, j’assiste à de singulières choses, sans rien dire.

Il se tint un instant, comme ne voulant pas en conter davantage ; mais la démangeaison de parler fut trop forte.

— Maintenant, reprit-il, je me demande ce qu’ils vont