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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

— Merci, l’oncle, dit Mouret. La dernière fois, vos prunes étaient joliment bonnes… Vous boirez bien un coup ?

— Mais ça n’est pas de refus.

Et, quand Rose lui eut apporté un verre de vin, il s’assit sur la rampe de la terrasse. Il but le verre avec lenteur, faisant claquer sa langue, regardant le vin au jour.

— Ça vient du quartier de Saint-Eutrope, ce vin-là, murmura-t-il. Ce n’est pas moi qu’on tromperait. Je connais drôlement le pays.

Il branlait la tête, ricanant.

Alors, brusquement, Mouret lui demanda, avec une intention particulière dans la voix :

— Et aux Tulettes, comment va-t-on ?

Il leva les yeux, regarda tout le monde ; puis, faisant une dernière fois claquer la langue, posant le verre à côté de lui, sur la pierre, il répondit négligemment :

— Pas mal… J’ai eu de ses nouvelles avant-hier. Elle se porte toujours la même chose.

Félicité avait tourné la tête. Il y eut un silence. Mouret venait de mettre le doigt sur une des plaies vives de la famille, en faisant allusion à la mère de Rougon et de Macquart, enfermée depuis plusieurs années comme folle, à la maison des aliénés des Tulettes. La petite propriété de Macquart était voisine, et il semblait que Rougon eût posté là le vieux drôle pour veiller sur l’aïeule.

— Il se fait tard, finit par dire ce dernier en se levant ; il faut que je sois rentré avant la nuit… Dis donc, Mouret, mon garçon, je compte sur toi pour un de ces jours. Tu m’avais bien promis de venir.

— J’irai, l’oncle, j’irai.

— Ce n’est pas ça, je veux que tout le monde vienne ; entends-tu ? tout le monde… Je m’ennuie là-bas tout seul. Je vous ferai la cuisine.

Et, se tournant vers Félicité :