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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

mépris muet. Les jupes s’écartaient sur son passage, comme s’il avait dû les salir ; les habits noirs se détournaient, avec de légers ricanements. Lui, garda une sérénité superbe. Ayant cru entendre prononcer avec affectation le mot de Besançon, dans le coin de la pièce où trônait madame de Condamin, il marcha droit au groupe formé autour d’elle ; mais, à son approche, la conversation tomba net, et tous les yeux le dévisagèrent, luisant d’une curiosité méchante. On parlait sûrement de lui, on racontait quelque vilaine histoire. Alors, comme il se tenait debout, derrière les demoiselles Rastoil, qui ne l’avaient point aperçu, il entendit la plus jeune demander à l’autre :

— Qu’a-t-il donc fait, à Besançon, ce prêtre dont tout le monde parle ?

— Je ne sais trop, répondit l’aînée. Je crois qu’il a failli étrangler son curé dans une querelle. Papa dit aussi qu’il s’est mêlé d’une grande affaire industrielle qui a mal tourné.

— Mais il est là, n’est-ce pas ? dans le petit salon… On vient de le voir rire avec monsieur de Condamin.

— Alors, s’il rit avec monsieur de Condamin, on a raison de se méfier de lui.

Ce bavardage des deux demoiselles mit une sueur aux tempes de l’abbé Faujas. Il ne sourcilla pas ; sa bouche s’amincit, ses joues prirent une teinte terreuse. Maintenant, il entendait le salon entier parler du curé qu’il avait étranglé, des affaires véreuses dont il s’était mêlé. En face de lui, M. Delangre et le docteur Porquier restaient sévères ; M. de Bourdeu avait une moue de dédain, en causant bas avec une dame ; M. Maffre, le juge de paix, le regardait en dessous, dévotement, le flairant de loin, avant de se décider à mordre ; et, à l’autre bout de la pièce, le ménage Paloque, les deux monstres, allongeaient leurs visages couturés par le fiel, où s’allumait la joie mauvaise de toutes les cruautés colportées à voix basse. L’abbé Faujas