Page:Emile Zola - La Curée.djvu/107

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
107
LA CURÉE

Ce procédé, dont on a abusé depuis, fit merveille ; les actionnaires accoururent, bien que la question des Ports du Maroc fût peu claire et que les braves gens qui apportaient leur argent ne pussent expliquer eux-mêmes à quelle œuvre on allait l’employer. L’affiche parlait superbement d’établir des stations commerciales le long de la Méditerranée. Depuis deux ans, certains journaux célébraient cette opération grandiose, qu’ils déclaraient plus prospère tous les trois mois. Au conseil municipal, M. Toutin-Laroche passait pour un administrateur de premier mérite ; il était une des fortes têtes de l’endroit, et sa tyrannie aigre sur ses collègues n’avait d’égale que sa platitude dévote devant le préfet. Il travaillait déjà à la création d’une grande compagnie financière, le Crédit viticole, une caisse de prêt pour les vignerons, dont il parlait avec des réticences, des attitudes graves qui allumaient autour de lui les convoitises des imbéciles.

Saccard gagna la protection de ces deux personnages, en leur rendant des services, dont il feignit habilement d’ignorer l’importance. Il mit en rapport sa sœur et le baron, alors compromis dans une histoire des moins propres. Il la conduisit chez lui, sous le prétexte de réclamer son appui en faveur de la chère femme, qui pétitionnait depuis longtemps, afin d’obtenir une fourniture de rideaux pour les Tuileries. Mais il advint quand l’agent voyer les eut laissés ensemble, que ce fut madame Sidonie qui promit au baron de traiter avec certaines gens, assez maladroits pour ne pas être honorés de l’amitié qu’un sénateur avait daigné témoigner à leur enfant, une petite fille d’une dizaine d’années. Saccard agit lui-même auprès de M. Toutin-Laroche ; il se ménagea une entrevue avec lui dans un corridor et mit la