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LES ROUGON-MACQUART

— Ah ! j’oubliais, mon cher collègue, dit le baron avec un sourire, je pars tout à l’heure pour la campagne. Vous seriez bien aimable d’aller faire sans moi cette petite enquête… Et surtout ne me vendez pas, ces messieurs se plaignent de ce que je prends trop de vacances.

— Soyez tranquille, répondit M. Toutin-Laroche, je vais de ce pas rue de la Pépinière.

Il rentra tranquillement chez lui, avec une pointe d’admiration pour le baron, qui dénouait si joliment les situations délicates. Il garda le dossier dans sa poche, et à la séance suivante, il déclara, d’un ton péremptoire, au nom du baron et au sien, qu’entre l’offre de cinq cent mille francs et la demande de sept cent mille francs, il fallait prendre un moyen terme et accorder six cent mille francs. Il n’y eut pas la moindre opposition. Le membre de la rue d’Astorg, qui avait réfléchi sans doute, dit avec une grande bonhomie qu’il s’était trompé : il avait cru qu’il s’agissait de la maison voisine.

Ce fut ainsi qu’Aristide Saccard remporta sa première victoire. Il quadrupla sa mise de fonds et gagna deux complices. Une seule chose l’inquiéta ; lorsqu’il voulut anéantir les fameux livres de madame Sidonie, il ne les trouva plus. Il courut chez Larsonneau, qui lui avoua carrément qu’il les avait, en effet, et qu’il les gardait. L’autre ne se fâcha pas ; il sembla dire qu’il n’avait eu de l’inquiétude que pour ce cher ami, beaucoup plus compromis que lui par ces écritures presque entièrement de sa main, mais qu’il était rassuré, du moment où elles se trouvaient en sa possession. Au fond, il eût volontiers étranglé le « cher ami ; » il se souvenait d’une pièce fort compromettante, d’un inventaire faux, qu’il avait eu la bêtise de dresser, et qui devait être resté dans l’un