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LES ROUGON-MACQUART

étage de la rue de Rivoli. Les portes y battaient toute la journée ; les domestiques y parlaient haut ; le luxe neuf et éclatant en était traversé continuellement par des courses de jupes énormes et volantes, par des processions de fournisseurs, par le tohu-bohu des amies de Renée, des camarades de Maxime et des visiteurs de Saccard. Ce dernier recevait, de neuf heures à onze heures, le plus étrange monde qu’on pût voir : sénateurs et clercs d’huissier, duchesses et marchandes à la toilette, toute l’écume que les tempêtes de Paris jetaient le matin à sa porte, robes de soie, jupes sales, blouses, habits noirs, qu’il accueillait du même ton pressé, des mêmes gestes impatients et nerveux ; il bâclait les affaires en deux paroles, résolvait vingt difficultés à la fois, et donnait les solutions en courant. On eût dit que ce petit homme remuant, dont la voix était très forte, se battait dans son cabinet avec les gens, avec les meubles, culbutait, se frappait la tête au plafond pour en faire jaillir les idées, et retombait toujours victorieux sur ses pieds. Puis, à onze heures, il sortait ; on ne le voyait plus de la journée ; il déjeunait dehors, souvent même il y dînait. Alors la maison appartenait à Renée et à Maxime ; ils s’emparaient du cabinet du père ; ils y déballaient les cartons des fournisseurs, et les chiffons traînaient sur les dossiers. Parfois des gens graves attendaient une heure à la porte du cabinet, pendant que le collégien et la jeune femme discutaient un nœud de ruban, assis aux deux bouts du bureau de Saccard. Renée faisait atteler dix fois par jour. Rarement on mangeait ensemble ; sur les trois, deux couraient, s’oubliaient, ne revenaient qu’à minuit. Appartement de tapage, d’affaires et de plaisirs, où la vie moderne, avec son bruit d’or sonnant, de toi-