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LES ROUGON-MACQUART

pait la poitrine, elle pâlissait à l’idée du diable et de ses chaudières. La faute qui amena plus tard son mariage avec Saccard, ce viol brutal qu’elle subit avec une sorte d’attente épouvantée, la fit ensuite se mépriser, et fut pour beaucoup dans l’abandon de toute sa vie. Elle pensa qu’elle n’avait plus à lutter contre le mal, qu’il était en elle, que la logique l’autorisait à aller jusqu’au bout de la science mauvaise. Elle était plus encore une curiosité qu’un appétit. Jetée dans le monde du second empire, abandonnée à ses imaginations, entretenue d’argent, encouragée dans ses excentricités les plus tapageuses, elle se livra, le regretta, puis réussit enfin à tuer son honnêteté expirante, toujours fouettée, toujours poussée en avant par son insatiable besoin de savoir et de sentir.

D’ailleurs, elle n’en était qu’à la page commune. Elle causait volontiers, à demi voix, avec des rires, des cas extraordinaires de la tendre amitié de Suzanne Haffner et d’Adeline d’Espanet, du métier délicat de madame de Lauwerens, des baisers à prix fixe de la comtesse Vanska ; mais elle regardait encore ces choses de loin, avec la vague idée d’y goûter peut-être, et ce désir indéterminé, qui montait en elle aux heures mauvaises, grandissait encore cette anxiété turbulente, cette recherche effarée d’une jouissance unique, exquise, où elle mordrait toute seule. Ses premiers amants ne l’avaient pas gâtée ; trois fois elle s’était crue prise d’une grande passion ; l’amour éclatait dans sa tête comme un pétard, dont les étincelles n’allaient pas jusqu’au cœur. Elle était folle un mois, s’affichait avec son cher seigneur dans tout Paris ; puis, un matin, au milieu du tapage de sa tendresse, elle sentait un silence écrasant, un vide immense. Le premier,