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LA CURÉE

la dernière bougie, éteint la dernière pudeur. Il n’y avait plus, au fond des ténèbres, qu’un grand râle d’amour furieux et las ; tandis que les Tuileries, au bord de l’eau, allongeaient leurs bras dans le noir, comme pour une embrassade énorme.

Saccard venait de faire bâtir son hôtel du parc Monceau sur un terrain volé à la Ville. Il s’y était réservé, au premier étage, un cabinet superbe, palissandre et or, avec de hautes vitrines de bibliothèque, pleine de dossiers, et où on ne voyait pas un livre ; le coffre-fort, enfoncé dans le mur, se creusait comme une alcôve de fer, grande à y coucher les amours d’un milliard. Sa fortune s’y épanouissait, s’y étalait insolemment. Tout paraissait lui réussir. Lorsqu’il quitta la rue de Rivoli, agrandissant son train de maison, doublant sa dépense, il parla à ses familiers de gains considérables. Selon lui, son association avec les sieurs Mignon et Charrier lui rapportait d’énormes bénéfices ; ses spéculations sur les immeubles allaient mieux encore ; quant au Crédit viticole, c’était une vache à lait inépuisable. Il avait une façon d’énumérer ses richesses qui étourdissait les auditeurs et les empêchait de voir bien clair. Son nasillement de Provençal redoublait : il tirait, avec ses phrases courtes et ses gestes nerveux, des feux d’artifice, où les millions montaient en fusée, et qui finissaient par éblouir les plus incrédules. Cette mimique turbulente d’homme riche était pour une bonne part dans la réputation d’heureux joueur qu’il avait acquise. À la vérité, personne ne lui connaissait un capital net et solide. Ses différents associés, forcément au courant de sa situation vis-à-vis d’eux, s’expliquaient sa fortune colossale en croyant à son bonheur absolu dans les autres spéculations, celles