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LES ROUGON-MACQUART

partagé la maison, ils y campaient, n’ayant pas l’air d’être chez eux, comme jetés, au bout d’un voyage tumultueux et étourdissant, dans quelque royal hôtel garni, où ils n’avaient pris que le temps de défaire leurs malles, pour courir plus vite aux jouissances d’une ville nouvelle. Ils y logeaient à la nuit, ne restant chez eux que les jours de grands dîners, emportés par une course continuelle à travers Paris, rentrant parfois pour une heure, comme on rentre dans une chambre d’auberge, entre deux excursions. Renée s’y sentait plus inquiète, plus rêveuse ; ses jupes de soie glissaient avec des sifflements de couleuvre sur les épais tapis, le long du satin des causeuses ; elle était irritée par ces dorures imbéciles qui l’entouraient, par ces hauts plafonds vides où ne restaient, après les nuits de fête, que les rires des jeunes sots et les sentences des vieux fripons ; et elle eût voulu, pour remplir ce luxe, pour habiter ce rayonnement, un amusement suprême que ses curiosités cherchaient en vain dans tous les coins de l’hôtel, dans le petit salon couleur de soleil, dans la serre aux végétations grasses. Quant à Saccard, il touchait à son rêve ; il recevait la haute finance, M. Toutin-Laroche, M. de Lauwerens ; il recevait aussi les grands politiques, le baron Gouraud, le député Haffner ; son frère, le ministre, avait même bien voulu venir deux ou trois fois consolider sa situation par sa présence. Cependant, comme sa femme, il avait des anxiétés nerveuses, une inquiétude qui donnait à son rire un étrange son de vitres brisées. Il devenait si tourbillonnant, si effaré, que ses connaissances disaient de lui : « Ce diable de Saccard ! il gagne trop d’argent, il en deviendra fou ! » En 1860, on l’avait décoré, à la suite d’un service mystérieux qu’il avait rendu au préfet,