Page:Emile Zola - La Curée.djvu/181

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
181
LA CURÉE

des, des femmes, mêlées aux hommes, buvaient. Elles étaient en robes voyantes, les cheveux dans le cou ; elles se dandinaient sur les chaises, avec des paroles hautes que le bruit empêchait d’entendre. Renée en remarqua particulièrement une, seule à une table, vêtue d’un costume d’un bleu dur, garni d’une guipure blanche ; elle achevait, à petits coups, un verre de bière, renversée à demi, les mains sur le ventre, d’un air d’attente lourde et résignée. Celles qui marchaient se perdaient lentement au milieu de la foule, et la jeune femme, qu’elles intéressaient, les suivait du regard, allait d’un bout du boulevard à l’autre, dans les lointains tumultueux et confus de l’avenue, pleins du grouillement noir des promeneurs, et où les clartés n’étaient plus que des étincelles. Et le défilé repassait sans fin, avec une régularité fatigante, monde étrangement mêlé et toujours le même, au milieu des couleurs vives, des trous de ténèbres, dans le tohu-bohu féerique de ces mille flammes dansantes, sortant comme un flot des boutiques, colorant les transparents des croisées et des kiosques, courant sur les façades en baguettes, en lettres, en dessins de feu, piquant l’ombre d’étoiles, filant sur la chaussée, continuellement. Le bruit assourdissant qui montait avait une clameur, un ronflement prolongé, monotone, comme une note d’orgue accompagnant l’éternelle procession de petites poupées mécaniques. Renée crut, un moment, qu’un accident venait d’avoir lieu. Un flot de personnes se mouvait à gauche, un peu au delà du passage de l’Opéra. Mais, ayant pris son binocle, elle reconnut le bureau des omnibus ; il y avait beaucoup de monde sur le trottoir, debout, attendant, se précipitant, dès qu’une voiture arrivait. Elle entendait la voix rude du contrôleur appeler