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LES ROUGON-MACQUART

Il devait encore un million au tapissier et à l’entrepreneur.

— Je ne vous réclame rien, dit enfin Renée, je sais que je suis très endettée vis-à-vis de vous.

— Oh ! chère amie, s’écria-t-il, en prenant la main de sa femme, sans abandonner les pincettes, quelle vilaine idée vous avez là !… En deux mots, tenez, j’ai été malheureux à la Bourse, Toutin-Laroche a fait des bêtises, les Mignon et Charrier sont des butors qui me mettent dedans. Et voilà pourquoi je ne puis payer votre mémoire. Vous me pardonnez, n’est-ce pas ?

Il semblait véritablement ému. Il enfonça les pincettes entre les bûches, alluma des fusées d’étincelles. Renée se rappela l’allure inquiète qu’il avait depuis quelque temps. Mais elle ne put descendre dans l’étonnante vérité. Saccard en était arrivé à un tour de force quotidien. Il habitait un hôtel de deux millions, il vivait sur le pied d’une dotation de prince, et certains matins il n’avait pas mille francs dans sa caisse. Ses dépenses ne paraissaient pas diminuer. Il vivait sur la dette, parmi un peuple de créanciers qui engloutissaient au jour le jour les bénéfices scandaleux qu’il réalisait dans certaines affaires. Pendant ce temps, au même moment, des sociétés s’écroulaient sous lui, de nouveaux trous se creusaient plus profonds, par-dessus lesquels il sautait, ne pouvant les combler. Il marchait ainsi sur un terrain miné, dans une crise continuelle, soldant des notes de cinquante mille francs et ne payant pas les gages de son cocher, marchant toujours avec un aplomb de plus en plus royal, vidant avec plus de rage sur Paris sa caisse vide, d’où le fleuve d’or aux sources légendaires continuait à sortir.