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LA CURÉE

cent et quelques mille francs qu’il avait déjà dépensés, et ce qui l’exaspéra davantage encore, ce fut que jamais les entrepreneurs ne voulurent reprendre le terrain à deux cent cinquante francs le mètre, chiffre fixé lors du partage. Ils lui rabattirent vingt-cinq francs par mètre, comme ces marchandes à la toilette qui ne donnent plus que quatre francs d’un objet qu’elles ont vendu cinq francs la veille. Deux jours après, Saccard eut la douleur de voir une armée de maçons envahir l’enclos de planches et continuer à bâtir sur les plâtras « inutiles ».

Il jouait donc d’autant mieux la gêne devant sa femme, que ses affaires s’embrouillaient davantage. Il n’était pas homme à se confesser par amour de la vérité.

— Mais, monsieur, dit Renée d’un air de doute, si vous vous trouvez embarrassé, pourquoi m’avoir acheté cette aigrette et cette rivière qui vous ont coûté, je crois, soixante-cinq mille francs ?… Je n’ai que faire de ces bijoux ; je vais être obligée de vous demander la permission de m’en défaire pour donner un acompte à Worms.

— Gardez-vous-en bien ! s’écria-t-il avec inquiétude. Si l’on ne vous voyait pas ces bijoux demain au bal du ministère, on ferait des cancans sur ma situation…

Il était bonhomme, ce matin-là. Il finit par sourire et par murmurer en clignant des yeux :

— Ma chère amie, nous autres spéculateurs, nous sommes comme les jolies femmes, nous avons nos roueries… Conservez, je vous prie, votre aigrette et votre rivière pour l’amour de moi.

Il ne pouvait conter l’histoire qui était tout à fait jolie, mais un peu risquée. Ce fut à la fin d’un souper