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LES ROUGON-MACQUART

même c’était elle qui payait, du bout de ses doigts gantés, chez le pâtissier où ils s’arrêtaient presque chaque après-midi, pour manger des petits pâtés aux huîtres. Souvent, il trouvait, le matin, dans son gilet, des louis qu’il ne savait pas là, et qu’elle y avait mis, comme une mère qui garnit la poche d’un collégien. Et cette belle existence de goûters, de caprices satisfaits, de plaisirs faciles allait cesser ! Mais une crainte plus grave encore vint les consterner. Le bijoutier de Sylvia, auquel il devait dix mille francs, se fâchait, parlait de Clichy. Les billets qu’il avait en main, protestés depuis longtemps, étaient couverts de tels frais, que la dette se trouvait grossie de trois ou quatre milliers de francs. Saccard déclara nettement qu’il ne pouvait rien. Son fils à Clichy le poserait, et quand il l’en retirerait, il ferait grand bruit de cette largesse paternelle. Renée était au désespoir ; elle voyait son cher enfant en prison, mais dans un véritable cachot, couché sur de la paille humide. Un soir, elle lui proposa sérieusement de ne plus sortir de chez elle, d’y vivre ignoré de tous, à l’abri des recors. Puis elle jura qu’elle trouverait l’argent. Jamais elle ne parlait de l’origine de la dette, de cette Sylvia qui confiait ses amours aux glaces des cabinets particuliers. C’était une cinquantaine de mille francs qu’il lui fallait : quinze mille pour Maxime, trente mille pour Worms, et cinq mille francs d’argent de poche. Ils auraient devant eux quinze grands jours de bonheur. Elle se mit en campagne.

Sa première idée fut de demander les cinquante mille francs à son mari. Elle ne s’y décida qu’avec des répugnances. Les dernières fois qu’il était entré dans sa chambre pour lui apporter de l’argent, il lui avait mis