Page:Emile Zola - La Curée.djvu/254

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
254
LES ROUGON-MACQUART

ou tout au moins l’aurait aidée. Elle se penchait déjà pour dire à son cocher de retourner rue Saint-Louis-en-l’Île lorsqu’elle crut revoir l’image de son père traversant lentement l’ombre solennelle du grand salon. Jamais elle n’aurait le courage de rentrer tout de suite dans cette pièce. Que dirait-elle pour expliquer cette deuxième visite ? Et, au fond d’elle, elle ne trouvait même plus le courage de parler de l’affaire à la tante Élisabeth. Elle dit à son cocher de la conduire rue du Faubourg-Poissonnière.

Mme Sidonie eut un cri de ravissement lorsqu’elle la vit pousser la porte discrètement voilée de la boutique. Elle était là par hasard, elle allait sortir pour courir chez le juge de paix, où elle citait une cliente. Mais elle ferait défaut, ça serait pour un autre jour ; elle était trop heureuse que sa belle-sœur eût l’amabilité de lui rendre enfin une petite visite. Renée souriait, d’un air embarrassé. Mme Sidonie ne voulut absolument pas qu’elle restât en bas ; elle la fit monter dans sa chambre, par le petit escalier, après avoir retiré le bouton de cuivre du magasin. Elle ôtait ainsi et remettait vingt fois par jour ce bouton qui tenait par un simple clou.

— Là, ma toute belle, dit-elle en la faisant asseoir sur une chaise longue, nous allons pouvoir causer gentiment… Imaginez-vous que vous arrivez comme mars en carême. Je serais allée ce soir chez vous.

Renée, qui connaissait la chambre, y éprouvait cette vague sensation de malaise que procure à un promeneur un coin de forêt coupé dans un paysage aimé.

— Ah ! dit-elle enfin, vous avez changé le lit de place, n’est-ce pas ?

— Oui, répondit tranquillement la marchande de den-