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LES ROUGON-MACQUART

marché grossier. Mais, les jours suivants, quand elle endura les angoisses de l’adultère, tout sombra en elle, et elle se sentit si méprisable qu’elle se serait livrée au premier homme qui aurait poussé la porte de la chambre aux pianos. Si, jusque-là, la pensée de son mari était passée parfois dans l’inceste, comme une pointe d’horreur voluptueuse, le mari, l’homme lui-même, y entra dès lors avec une brutalité qui tourna ses sensations les plus délicates en douleurs intolérables. Elle qui se plaisait aux raffinements de sa faute et qui rêvait volontiers un coin de paradis surhumain, où les dieux goûtent leurs amours en famille, elle roulait à la débauche vulgaire, au partage de deux hommes. Vainement elle tenta de jouir de l’infamie. Elle avait encore les lèvres chaudes des baisers de Saccard, lorsqu’elle les offrait aux baisers de Maxime. Ses curiosités descendirent au fond de ces voluptés maudites ; elle alla jusqu’à mêler ces deux tendresses, jusqu’à chercher le fils dans les étreintes du père. Et elle sortait plus effarée, plus meurtrie de ce voyage dans l’inconnu du mal, de ces ténèbres ardentes où elle confondait son double amant, avec des terreurs qui donnaient un râle à ses joies.

Elle garda ce drame pour elle seule, en doubla la souffrance par les fièvres de son imagination. Elle eût préféré mourir que d’avouer la vérité à Maxime. C’était une peur sourde que le jeune homme ne se révoltât, ne la quittât ; c’était surtout une croyance si absolue de péché monstrueux et de damnation éternelle, qu’elle aurait plus volontiers traversé nue le parc Monceau, que de confesser sa honte à voix basse. Elle restait, d’ailleurs, l’étourdie qui étonnait Paris par ses extravagances. Des gaietés nerveuses la prenaient, des caprices