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LA CURÉE

triomphe. Les opérations les plus simples se compliquaient, dès qu’il s’en occupait, devenaient des drames noirs ; il se passionnait, il aurait battu son père pour une pièce de cent sous. Et il semait ensuite l’or royalement.

Mais, avant d’obtenir de Renée la cession de sa part de propriété, il eut la prudence d’aller tâter Larsonneau sur les intentions de chantage qu’il avait flairées en lui. Son instinct le sauva, en cette circonstance. L’agent d’expropriation avait cru, de son côté, que le fruit était mûr et qu’il pouvait le cueillir. Lorsque Saccard entra dans le cabinet de la rue de Rivoli, il trouva son compère bouleversé, donnant les signes du plus violent désespoir.

— Ah ! mon ami, murmura celui-ci, en lui prenant les mains, nous sommes perdus… J’allais courir chez vous pour nous concerter, pour nous sortir de cette horrible aventure…

Tandis qu’il se tordait les bras et essayait un sanglot, Saccard remarqua qu’il était en train de signer des lettres, au moment de son entrée, et que les signatures avaient une netteté admirable. Il le regarda tranquillement, en disant :

— Bah ! qu’est-ce qui nous arrive donc ?

Mais l’autre ne répondit pas tout de suite ; il s’était jeté dans son fauteuil, devant son bureau, et là, les coudes sur le buvard, le front entre les mains, il se branlait furieusement la tête. Enfin, d’une voix étouffée :

— On m’a volé le registre, vous savez…

Et il conta qu’un de ses commis, un gueux digne du bagne, lui avait soustrait un grand nombre de dossiers, parmi lesquels se trouvait le fameux registre. Le pis était