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LES ROUGON-MACQUART

Elles s’étaient placées toutes seules ! Ce devait être cette petite d’Espanet qui avait monté le complot de hâter les changements de costume, et de se passer de lui. Ça n’était pas ça, ça ne valait rien !

Il revint, mâchant de sourdes paroles. Il regardait sur l’estrade, avec des haussements d’épaules, murmurant :

— La nymphe Écho est trop au bord… Et cette jambe du beau Narcisse, pas de noblesse, pas de noblesse du tout…

Les Mignon et Charrier, qui s’étaient approchés pour entendre « l’explication » se hasardèrent à lui demander « ce que le jeune homme et la jeune fille faisaient, couchés par terre. » Mais il ne répondit pas, il refusait d’expliquer davantage son poème ; et comme les entrepreneurs insistaient :

— Eh ! ça ne me regarde plus, du moment que ces dames se placent sans moi !

Le piano sanglotait mollement. Sur l’estrade, une clairière, où le rayon électrique mettait une nappe de soleil, ouvrait un horizon de feuilles. C’était une clairière idéale, avec des arbres bleus, de grandes fleurs jaunes et rouges, qui montaient aussi haut que les chênes. Là, sur une butte de gazon, Vénus et Plutus se tenaient côte à côte, entourés de nymphes accourues des taillis voisins pour leur faire escorte. Il y avait les filles des arbres, les filles des sources, les filles des monts, toutes les divinités rieuses et nues de la forêt. Et le dieu et la déesse triomphaient, punissaient les froideurs de l’orgueilleux qui les avait méprisés, tandis que le groupe des nymphes regardaient curieusement, avec un effroi sacré, la vengeance de l’Olympe, au premier plan. Le drame s’y dénouait. Le beau Narcisse, couché sur le bord d’un ruisseau, qui des-