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LA CURÉE

il devrait baiser les pieds de l’empereur. Je le disais ce matin au Conseil, où l’on parlait du grand succès de l’emprunt : « Messieurs, laissons dire ces braillards de l’opposition : bouleverser Paris, c’est le fertiliser. »

Saccard sourit en fermant les yeux, comme pour mieux savourer la finesse du mot. Il se pencha derrière le dos de Mme d’Espanet, et dit à M. Hupel de la Noue, assez haut pour être entendu :

— Il a un esprit adorable.

Cependant, depuis qu’on parlait des travaux de Paris, le sieur Charrier tendait le cou, comme pour se mêler à la conversation. Son associé Mignon n’était occupé que de Mme Sidonie, qui lui donnait fort à faire. Saccard, depuis le commencement du dîner, surveillait les entrepreneurs du coin de l’œil.

— L’administration, dit-il, a rencontré tant de dévouements ! Tout le monde a voulu contribuer à la grande œuvre. Sans les riches compagnies qui lui sont venues en aide, la Ville n’aurait jamais pu faire si bien ni si vite.

Il se tourna, et avec une sorte de brutalité flatteuse :

— MM. Mignon et Charrier en savent quelque chose, eux qui ont eu leur part de peine, et qui auront leur part de gloire.

Les maçons enrichis reçurent béatement cette phrase en pleine poitrine. Mignon, auquel Mme Sidonie disait en minaudant : « Ah ! monsieur, vous me flattez ; non, le rose serait trop jeune pour moi…, » la laissa au milieu de sa phrase pour répondre à Saccard :

— Vous êtes trop bon ; nous avons fait nos affaires.

Mais Charrier était plus dégrossi. Il acheva son verre de Pomard et trouva le moyen de faire une phrase :