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LES ROUGON-MACQUART

C’était un pillage, les mains se rencontraient au milieu des viandes, et les laquais ne savaient à qui répondre, au milieu de cette bande d’hommes comme il faut, dont les bras tendus exprimaient la seule crainte d’arriver trop tard et de trouver les plats vides. Un vieux monsieur se fâcha parce qu’il n’y avait pas de bordeaux, et que le champagne, assurait-il, l’empêchait de dormir.

— Doucement, messieurs, doucement, disait Baptiste de sa voix grave. Il y en aura pour tout le monde.

Mais on ne l’écoutait pas. La salle à manger était pleine, et des habits noirs inquiets se haussaient à la porte. Devant les dressoirs, des groupes stationnaient, mangeant vite, se serrant. Beaucoup avalaient sans boire, n’ayant pu mettre la main sur un verre. D’autres, au contraire, buvaient, en courant inutilement après un morceau de pain.

— Écoutez, dit M. Hupel de la Noue, que les Mignon et Charrier, las de mythologie, avaient entraîné au buffet, nous n’aurons rien si nous ne faisons pas cause commune… C’est bien pis aux Tuileries, et j’y ai acquis quelque expérience… Chargez-vous du vin, je me charge de la viande.

Le préfet guettait un gigot. Il allongea la main, au bon moment, dans une éclaircie d’épaules, et l’emporta tranquillement, après s’être bourré les poches de petits pains. Les entrepreneurs revinrent de leur côté, Mignon avec une bouteille, Charrier avec deux bouteilles de champagne ; mais ils n’avaient pu trouver que deux verres ; ils dirent que ça ne faisait rien, qu’ils boiraient dans le même. Et ces messieurs soupèrent sur le coin d’une jardinière, au fond de la pièce. Ils ne retirèrent pas même leurs gants, mettant les tranches toutes déta-