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LES ROUGON-MACQUART

une femme qui était folle assurément, laisser derrière lui une histoire dont le côté honteux l’exilait à jamais ! c’était comme un cauchemar atroce qui l’étouffait. Il cherchait avec désespoir un moyen pour sortir de ce cabinet de toilette, de ce réduit rose où battait le glas de Charenton. Il crut avoir trouvé.

— C’est que je n’ai pas d’argent, dit-il avec douceur, afin de ne pas l’exaspérer. Si tu m’enfermes, je ne pourrai pas m’en procurer.

— J’en ai, moi, répondit-elle d’un air de triomphe. J’ai cent mille francs. Tout s’arrange très bien…

Elle prit, dans l’armoire à glace, l’acte de cession que son mari lui avait laissé, avec le vague espoir que sa tête tournerait. Elle l’apporta sur la table de toilette, força Maxime à lui donner une plume et un encrier qui se trouvaient dans la chambre à coucher, et, repoussant les savons, signant l’acte :

— Voilà, dit-elle, la bêtise est faite. Si je suis volée, c’est que je le veux bien… Nous passerons chez Larsonneau, avant d’aller à la gare… Maintenant, mon petit Maxime, je vais t’enfermer, et nous nous sauverons par le jardin, quand j’aurai mis tout ce monde à la porte. Nous n’avons même pas besoin d’emporter des malles.

Elle redevenait gaie. Ce coup de tête la ravissait. C’était une excentricité suprême, une fin qui, dans cette crise de fièvre chaude, lui semblait tout à fait originale. Ça dépassait de beaucoup son désir de voyage en ballon. Elle vint prendre Maxime dans ses bras, en murmurant :

— Je t’ai fait mal tout à l’heure, mon pauvre chéri ! Aussi tu refusais… Tu verras comme ce sera gentil. Est-ce que ta bossue t’aimerait comme je t’aime ? Ce n’est pas une femme, ce petit moricaud-là…