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LA CURÉE

satisfaction. Aussi fut-on surpris de le voir lever la tête et de l’entendre dire, en essuyant ses lèvres grasses :

— Moi qui suis propriétaire, lorsque je fais réparer et décorer un appartement, j’augmente mon locataire.

La phrase de M. Haffner : « Nos enfants payeront, » avait réussi à réveiller le sénateur. Tout le monde battit discrètement des mains, et M. de Saffré s’écria :

— Ah ! charmant, charmant, j’enverrai demain le mot aux journaux.

— Vous avez bien raison, messieurs, nous vivons dans un bon temps, dit le sieur Mignon, comme pour conclure, au milieu des sourires et des admirations que le mot du baron excitait. J’en connais plus d’un qui ont joliment arrondi leur fortune. Voyez-vous, quand on gagne de l’argent, tout est beau.

Ces dernières paroles glacèrent les hommes graves. La conversation tomba net, et chacun parut éviter de regarder son voisin. La phrase du maçon atteignait ces messieurs, roide comme le pavé de l’ours. Michelin, qui justement contemplait Saccard d’un air agréable, cessa de sourire, très effrayé d’avoir eu l’air un instant d’appliquer les paroles de l’entrepreneur au maître de la maison. Ce dernier lança un coup d’œil à Mme Sidonie, qui accapara de nouveau Mignon, en disant : « Vous aimez donc le rose, monsieur ?… » Puis Saccard fit un long compliment à Mme d’Espanet ; sa figure noirâtre, chafouine, touchait presque les épaules laiteuses de la jeune femme, qui se renversait avec de petits rires.

On était au dessert. Les laquais allaient d’un pas plus vif autour de la table. Il y eut un arrêt, pendant que la nappe achevait de se charger de fruits et de sucreries. À l’un des bouts, du côté de Maxime, les rires devenaient