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LA CURÉE

celet de corail lui semblaient plus jolis sur la peau de son cou et de son bras. Était-ce ce jour-là qu’elle avait commencé à se mettre nue ?

Sa vie se déroulait devant elle. Elle assistait à son long effarement, à ce tapage de l’or et de la chair qui était monté en elle, dont elle avait eu jusqu’aux genoux, jusqu’au ventre, puis jusqu’aux lèvres, et dont elle sentait maintenant le flot passer sur sa tête, en lui battant le crâne à coups pressés. C’était comme une sève mauvaise ; elle lui avait lassé les membres, mis au cœur des excroissances de honteuses tendresses, fait pousser au cerveau des caprices de malade et de bête. Cette sève, la plante de ses pieds l’avait prise sur le tapis de sa calèche, sur d’autres tapis encore, sur toute cette soie et tout ce velours, où elle marchait depuis son mariage. Les pas des autres devaient avoir laissé là ces germes de poison, éclos à cette heure dans son sang, et que ses veines charriaient. Elle se rappelait bien son enfance. Lorsqu’elle était petite, elle n’avait que des curiosités. Même plus tard, après ce viol qui l’avait jetée au mal, elle ne voulait pas tant de honte. Certes, elle serait devenue meilleure, si elle était restée à tricoter auprès de la tante Élisabeth. Et elle entendait le tic-tac régulier des aiguilles de la tante, tandis qu’elle regardait fixement dans la glace pour lire cet avenir de paix qui lui avait échappé. Mais elle ne voyait que ses cuisses roses, ses hanches roses, cette étrange femme de soie rose qu’elle avait devant elle, et dont la peau de fine étoffe, aux mailles serrées, semblait faite pour des amours de pantins et de poupées. Elle en était arrivée à cela, à être une grande poupée dont la poitrine déchirée ne laisse échapper qu’un filet de son. Alors, devant les énormités