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LA CURÉE

deux apparitions sortir des ombres légères de la glace, recula d’un pas, vit que Saccard l’avait jetée comme un enjeu, comme une mise de fonds, et que Maxime s’était trouvé là, pour ramasser ce louis tombé de la poche du spéculateur. Elle restait une valeur dans le portefeuille de son mari ; il la poussait aux toilettes d’une nuit, aux amants d’une saison ; il la tordait dans les flammes de sa forge, se servant d’elle, ainsi que d’un métal précieux, pour dorer le fer de ses mains. Peu à peu, le père l’avait ainsi rendue assez folle, assez misérable, pour les baisers du fils. Si Maxime était le sang appauvri de Saccard, elle se sentait, elle, le produit, le fruit véreux de ces deux hommes, l’infamie qu’ils avaient creusée entre eux, et dans laquelle ils roulaient l’un et l’autre.

Elle savait maintenant. C’étaient ces gens qui l’avaient mise nue. Saccard avait dégrafé le corsage, et Maxime avait fait tomber la jupe. Puis, à eux deux, ils venaient d’arracher la chemise. À présent, elle se trouvait sans un lambeau, avec des cercles d’or, comme une esclave. Ils la regardaient tout à l’heure, ils ne lui disaient pas : « Tu es nue. » Le fils tremblait comme un lâche, frissonnait à la pensée d’aller jusqu’au bout de son crime, refusait de la suivre dans sa passion. Le père, au lieu de la tuer, l’avait volée ; cet homme punissait les gens en vidant leurs poches ; une signature tombait comme un rayon de soleil au milieu de la brutalité de sa colère, et pour vengeance, il emportait la signature. Puis elle avait vu leurs épaules qui s’enfonçaient dans les ténèbres. Pas de sang sur le tapis, pas un cri, pas une plainte. C’étaient des lâches. Ils l’avaient mise nue.

Et elle se dit qu’une seule fois elle avait lu l’avenir, le jour où, devant les ombres murmurantes du parc Mon-