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LA CURÉE

C’était un bruit assourdissant, une mêlée confuse où elle ne distingua d’abord que des jupes volantes et des jambes noires piétinant et tournant. La voix de M. de Saffré criait : « Le Changement de dames ! le Changement de dames ! » Et les couples passaient au milieu d’une fine poussière jaune ; chaque cavalier, après avoir fait trois ou quatre tours de valse, jetait sa dame aux bras de son voisin, qui lui jetait la sienne. La baronne de Meinhold, dans son costume d’Émeraude, tombait des mains du comte de Chibray aux mains de M. Simpson ; il la rattrapait au petit bonheur, par une épaule, tandis que le bout de ses gants glissait sous le corsage. La comtesse Vanska, rouge, faisant sonner ses pendeloques de corail, allait, d’un bond, de la poitrine de M. de Saffré, sur la poitrine du duc de Rozan, qu’elle enlaçait, qu’elle forçait à pirouetter pendant cinq mesures, pour se pendre ensuite à la hanche de M. Simpson, qui venait de lancer l’Émeraude au conducteur du cotillon. Et madame Teissière, madame Daste, madame de Lauwerens, luisaient comme de grands joyaux vivants, avec la pâleur blonde de la Topaze, le bleu tendre de la Turquoise, le bleu ardent du Saphir, s’abandonnaient un instant, se cambraient sous le poignet tendu d’un valseur, puis repartaient, arrivaient de dos ou de face dans une nouvelle étreinte, visitaient à la file toutes les embrassades d’hommes du salon. Cependant, madame d’Espanet, devant l’orchestre, avait réussi à saisir madame Haffner au passage, et valsait avec elle, sans vouloir la lâcher. L’Or et l’Argent dansaient ensemble, amoureusement.

Renée comprit alors ce tourbillonnement des jupes, ce piétinement des jambes. Elle était placée en contrebas, elle voyait la furie des pieds, le pêle-mêle des bottes