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LES ROUGON-MACQUART

— J’y ai passé cinq ans, murmura-t-il. Ça n’allait pas fort dans ce temps-là, mais, c’est égal, j’étais jeune… Vous voyez bien l’armoire ; c’est là que j’ai économisé trois cents francs, sou à sou. Et le trou du poêle, je me rappelle encore le jour où je l’ai creusé. La chambre n’avait pas de cheminée, il faisait un froid de loup, d’autant plus que nous n’étions pas souvent deux.

— Allons, interrompit le médecin en plaisantant, on ne vous demande pas des confidences. Vous avez fait vos farces comme les autres.

— Ça, c’est vrai, continua naïvement le digne homme. Je me souviens encore d’une repasseuse de la maison d’en face… Voyez-vous, le lit était à droite, près de la fenêtre… Ah ! ma pauvre chambre, comme ils me l’ont arrangée !

Il était vraiment très triste.

— Allez donc, dit Saccard, ce n’est pas un mal qu’on jette ces vieilles cambuses-là par terre. On va bâtir à la place de belles maisons de pierres de taille… Est-ce que vous habiteriez encore un pareil taudis ? Tandis que vous pourriez très bien vous loger sur le nouveau boulevard.

— Ça, c’est vrai, répondit de nouveau le fabricant, qui parut tout consolé.

La commission d’enquête s’arrêta encore dans deux immeubles. Le médecin restait à la porte, fumant, regardant le ciel. Quand ils arrivèrent à la rue des Amandiers, les maisons se firent rares, ils ne traversaient plus que de grands enclos, des terrains vagues, où traînaient quelques masures à demi écroulées. Saccard semblait réjoui par cette promenade à travers des ruines. Il venait de se rappeler le dîner qu’il avait fait jadis, avec sa pre-