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LES ROUGON-MACQUART

juste en face de lui, et alors il cria de sa grosse voix provençale :

— Vive l’empereur !

L’empereur, surpris, se tourna, reconnut sans doute l’enthousiaste, rendit le salut en souriant. Et tout disparut dans le soleil, les équipages se refermèrent, Renée n’aperçut plus, au-dessus des crinières, entre les dos des laquais, que les calottes vertes des piqueurs, qui sautaient avec leurs glands d’or.

Elle resta un moment les yeux grands ouverts, pleins de cette apparition, qui lui rappelait une autre heure de sa vie. Il lui semblait que l’empereur, en se mêlant à la file des voitures, venait d’y mettre le dernier rayon nécessaire, et de donner un sens à ce défilé triomphal. Maintenant, c’était une gloire. Toutes ces roues, tous ces hommes décorés, toutes ces femmes étalées languissamment s’en allaient dans l’éclair et le roulement du landau impérial. Cette sensation devint si aiguë et si douloureuse, que la jeune femme éprouva l’impérieux besoin d’échapper à ce triomphe, à ce cri de Saccard qui lui sonnait encore aux oreilles, à cette vue du père et du fils, les bras unis, causant et marchant à petits pas. Elle chercha, les mains sur la poitrine, comme brûlée par un feu intérieur ; et ce fut avec une soudaine espérance de soulagement, de fraîcheur salutaire, qu’elle se pencha et dit au cocher :

— À l’hôtel Béraud !

La cour avait sa froideur de cloître, Renée fit le tour des arcades, heureuse de l’humidité qui lui tombait sur les épaules. Elle s’approcha de l’auge verte de mousse, polie sur les bords par l’usure ; elle regarda la tête de lion à demi effacée, la gueule entr’ouverte, qui jetait un