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LA CURÉE

— Nous aurions de gros chagrins, nous serions jalouse !

Elle parut toute surprise.

— Moi ! dit-elle. Pourquoi jalouse ?

Puis elle ajouta, avec sa moue de dédain, comme se souvenant :

— Ah ! oui, la grosse Laure ! Je n’y pense guère, va. Si Aristide, comme vous voulez tous me le faire entendre, a payé les dettes de cette fille et lui a évité ainsi un voyage à l’étranger, c’est qu’il aime l’argent moins que je ne le croyais. Cela va le remettre en faveur auprès des dames… Le cher homme, je le laisse bien libre.

Elle souriait, elle disait « le cher homme, » d’un ton plein d’une indifférence amicale. Et subitement, redevenue très triste, promenant autour d’elle ce regard désespéré des femmes qui ne savent à quel amusement se donner, elle murmura :

— Oh ! je voudrais bien… Mais non, je ne suis pas jalouse, pas jalouse du tout.

Elle s’arrêta, hésitante.

— Vois-tu, je m’ennuie, dit-elle enfin d’une voix brusque.

Alors elle se tut, les lèvres pincées. La file des voitures passait toujours le long du lac, d’un trot égal, avec un bruit particulier de cataracte lointaine. Maintenant, à gauche, entre l’eau et la chaussée, se dressaient des petits bois d’arbres verts, aux troncs minces et droits, qui formaient de curieux faisceaux de colonnettes. À droite, les taillis, les futaies basses avaient cessé ; le Bois s’était ouvert en larges pelouses, en immenses tapis d’herbe, plantés çà et là d’un bouquet de grands arbres ; les nappes vertes se suivaient, avec des ondulations lé-