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LA CURÉE

-sœur à son mari, disant que madame Sidonie les enrichirait peut-être un jour. Saccard haussait les épaules ; il était allé visiter la boutique et l’entresol du Faubourg-Poissonnière, et n’y avait flairé qu’une faillite prochaine. Il voulut connaître l’opinion d’Eugène sur leur sœur ; mais celui-ci devint grave et se contenta de répondre qu’il ne la voyait jamais, qu’il la savait fort intelligente, un peu compromettante peut-être. Cependant, comme Saccard revenait rue de Penthièvre, quelque temps après, il crut voir la robe noire de Mme Sidonie sortir de chez son frère et filer rapidement le long des maisons. Il courut, mais il ne put retrouver la robe noire. La courtière avait une de ces tournures effacées qui se perdent dans la foule. Il resta songeur, et ce fut à partir de ce moment qu’il étudia sa sœur avec plus d’attention. Il ne tarda pas à pénétrer le labeur immense de ce petit être pâle et vague, dont la face entière semblait loucher et se fondre. Il eut du respect pour elle. Elle était bien du sang des Rougon. Il reconnut cet appétit de l’argent, ce besoin de l’intrigue qui caractérisaient la famille ; seulement, chez elle, grâce au milieu dans lequel elle avait vieilli, à ce Paris où elle avait dû chercher le matin son pain noir du soir, le tempérament commun s’était déjeté pour produire cet hermaphrodisme étrange de la femme devenue être neutre, homme d’affaires et entremetteuse à la fois.

Quand Saccard, après avoir arrêté son plan, se mit en quête des premiers fonds, il songea naturellement à sa sœur. Elle secoua la tête, soupira en parlant des trois milliards. Mais l’employé ne lui tolérait pas sa folie, il la secouait rudement chaque fois qu’elle revenait à la dette des Stuarts ; ce rêve lui semblait déshonorer une