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LES ROUGON-MACQUART


— Quel serait le sacrifice de la tante ?

— Cent mille francs.

Un nouveau silence se fit. Mme Sidonie ne pleurnichait plus ; elle était en affaire, sa voix prenait les notes métalliques d’une revendeuse qui discute un marché. Son frère, la regardant en dessous, ajouta avec quelque hésitation :

— Et toi, que veux-tu ?

— Nous verrons plus tard, répondit-elle. Tu me rendras service à ton tour.

Elle attendit quelques secondes ; et, comme il se taisait, elle lui demanda carrément :

— Eh bien, que décides-tu ? Ces pauvres femmes sont dans la désolation. Elles veulent empêcher un éclat. Elles ont promis de livrer demain au père le nom du coupable… Si tu acceptes, je vais leur envoyer une de tes cartes de visite par un commissionnaire.

Saccard parut s’éveiller d’un songe ; il tressaillit, il se tourna peureusement du côté de la chambre voisine, où il avait cru entendre un léger bruit.

— Mais je ne puis pas, dit-il avec angoisse, tu sais bien que je ne puis pas…

Mme Sidonie le regardait fixement, d’un air froid et dédaigneux. Tout le sang des Rougon, toutes ses ardentes convoitises lui remontèrent à la gorge. Il prit une carte de visite dans son portefeuille et la donna à sa sœur, qui la mit sous enveloppe, après avoir raturé l’adresse avec soin. Elle descendit ensuite. Il était à peine neuf heures.

Saccard, resté seul, alla appuyer son front contre les vitres glacées. Il s’oublia jusqu’à battre la retraite sur le verre, du bout des doigts. Mais il faisait une nuit si noire, les ténèbres au dehors s’entassaient en masses si