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LA CURÉE

Elle fit, de la tête, un signe affirmatif, sans répondre. Les yeux baissés, elle s’était remise à friser les poils de la peau d’ours.

— Va, ne sois pas modeste, poursuivit Maxime ; avoue carrément que tu es une des colonnes du second empire. Entre nous, on peut se dire de ces choses-là. Partout, aux Tuileries, chez les ministres, chez les simples millionnaires, en bas et en haut, tu règnes en souveraine. Il n’y a pas de plaisir où tu n’aies mis les deux pieds, et si j’osais, si le respect que je te dois ne me retenait pas, je dirais…

Il s’arrêta quelques secondes, riant ; puis il acheva cavalièrement sa phrase.

— Je dirais que tu as mordu à toutes les pommes.

Elle ne sourcilla pas.

— Et tu t’ennuies ! reprit le jeune homme avec une vivacité comique. Mais c’est un meurtre !… Que veux-tu ? Que rêves-tu donc ?

Elle haussa les épaules, pour dire qu’elle ne savait pas. Bien qu’elle penchât la tête, Maxime la vit alors si sérieuse, si sombre, qu’il se tut. Il regarda la file des voitures qui, en arrivant au bout du lac, s’élargissait, emplissait le large carrefour. Les voitures, moins serrées, tournaient avec une grâce superbe ; le trot plus rapide des attelages sonnait hautement sur la terre dure.

La calèche, en faisant le grand tour pour prendre la file, eut une oscillation qui pénétra Maxime d’une volupté vague. Alors, cédant à l’envie d’accabler Renée :

— Tiens, dit-il, tu mériterais d’aller en fiacre ! Ce serait bien fait !… Eh ! regarde ce monde qui rentre à Paris, ce monde qui est à tes genoux. On te salue comme