Page:Emile Zola - La Fortune des Rougon.djvu/126

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
126
LES ROUGON-MACQUART.

d’ailleurs, confirmait en lui certains pressentiments que cet imbécile de sous-préfet lui avait empêché d’écouter. Il était surtout exaspéré contre son père, qu’il avait cru assez sot pour être légitimiste, et qui se révélait bonapartiste au bon moment.

— M’ont-ils laissé commettre assez de bêtises, murmurait-il en courant. Je suis un joli monsieur, maintenant. Ah ! quelle école ! Granoux est plus fort que moi.

Il entra dans les bureaux de l’Indépendant, avec un bruit de tempête, en demandant son article d’une voix étranglée. L’article était déjà mis en page. Il fit desserrer la forme, et ne se calma qu’après avoir décomposé lui-même l’article, en mêlant furieusement les lettres comme un jeu de dominos. Le libraire qui dirigeait le journal, le regarda faire d’un air stupéfait. Au fond, il était heureux de l’incident, car l’article lui avait paru dangereux. Mais il lui fallait absolument de la matière, s’il voulait que l’Indépendant parût.

— Vous allez me donner autre chose ? demanda-t-il.

— Certainement, répondit Aristide.

Il se mit à une table et commença un panégyrique très-chaud du coup d’État. Dès la première ligne, il jurait que le prince Louis venait de sauver la République. Mais il n’avait pas écrit une page, qu’il s’arrêta et parut chercher la suite. Sa face de fouine devenait inquiète.

— Il faut que je rentre chez moi, dit-il enfin. Je vous enverrai cela tout à l’heure. Vous paraîtrez un peu plus tard, s’il est nécessaire.

En revenant chez lui, il marcha lentement, perdu dans ses réflexions. L’indécision le reprenait. Pourquoi se rallier si vite ? Eugène était un garçon intelligent, mais peut-être sa mère avait-elle exagéré la portée d’une simple phrase de sa lettre. En tout cas, il fallait mieux attendre et se taire.

Une heure plus tard, Angèle arriva chez le libraire, en feignant une vive émotion.