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LA FORTUNE DES ROUGON.

adroite dont Pierre s’était emparé de la fortune de leur mère. Adélaïde, dans l’indifférence profonde où elle vivait, ne lui écrivit pas trois fois, pour lui dire simplement qu’elle se portait bien. Le silence qui accueillait le plus souvent ses nombreuses demandes d’argent, ne lui donna aucun soupçon ; la ladrerie de Pierre suffit pour lui expliquer la difficulté qu’il éprouvait à arracher, de loin en loin, une misérable pièce de vingt francs. Cela ne fit, d’ailleurs, qu’augmenter sa rancune contre son frère, qui le laissait se morfondre au service, malgré sa promesse formelle de le racheter. Il se jurait, en rentrant au logis, de ne plus obéir en petit garçon et de réclamer carrément sa part de fortune, pour vivre à sa guise. Il rêva, dans la diligence qui le ramenait, une délicieuse existence de paresse. L’écroulement de ses châteaux en Espagne fut terrible. Quand il arriva dans le faubourg et qu’il ne reconnut plus l’enclos des Fouque, il resta stupide. Il lui fallut demander la nouvelle adresse de sa mère. Là, il y eut une scène épouvantable. Adélaïde lui apprit tranquillement la vente des biens. Il s’emporta, allant jusqu’à lever la main.

La pauvre femme répétait :

— Ton frère a tout pris ; il aura soin de toi, c’est convenu.

Il sortit enfin et courut chez Pierre, qu’il avait prévenu de son retour, et qui s’était préparé à le recevoir de façon à en finir avec lui, au premier mot grossier.

— Écoutez, lui dit le marchand d’huile qui affecta de ne plus le tutoyer, ne m’échauffez pas la bile ou je vous jette à la porte. Après tout, je ne vous connais pas. Nous ne portons pas le même nom. C’est déjà bien assez malheureux pour moi que ma mère se soit mal conduite, sans que ses bâtards viennent ici m’injurier. J’étais bien disposé pour vous ; mais, puisque vous êtes insolent, je ne ferai rien, absolument rien.