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LES ROUGON-MACQUART.

tir de ce moment qu’il se posa dans la ville en républicain farouche. Il affirma qu’il fumait tranquillement sa pipe au bord de la rivière, lorsque le garde champêtre l’avait arrêté. Et il ajoutait :

— Ils voudraient se débarrasser de moi, parce qu’ils savent quelles sont mes opinions. Mais je ne les crains pas, ces gueux de riches !

Cependant, au bout de dix ans de fainéantise, Macquart trouva qu’il travaillait trop. Son continuel rêve était d’inventer une façon de bien vivre sans rien faire. Sa paresse ne se serait pas contentée de pain et d’eau, comme celle de certains fainéants qui consentent à rester sur leur faim, pourvu qu’ils puissent se croiser les bras. Lui, il voulait de bons repas et de belles journées d’oisiveté. Il parla un instant d’entrer comme domestique chez quelque noble du quartier Saint-Marc. Mais un palefrenier de ses amis lui fit peur en lui racontant les exigences de ses maîtres. Macquart, dégoûté de ses corbeilles, voyant venir le jour où il lui faudrait acheter l’osier nécessaire, allait se vendre comme remplaçant et reprendre la vie de soldat, qu’il préférait mille fois à celle d’ouvrier, lorsqu’il fit la connaissance d’une femme dont la rencontre modifia ses plans.

Joséphine Gavaudan, que toute la ville connaissait sous le diminutif familier de Fine, était une grande et grosse gaillarde d’une trentaine d’années. Sa face carrée, d’une ampleur masculine, portait au menton et aux lèvres des poils rares, mais terriblement longs. On la nommait comme une maîtresse femme, capable à l’occasion de faire le coup de poing. Aussi ses larges épaules, ses bras énormes imposaient-ils un merveilleux respect aux gamins, qui n’osaient seulement pas sourire de ses moustaches. Avec cela, Fine avait une toute petite voix, une voix d’enfant, mince et claire. Ceux qui la fréquentaient affirmaient que, malgré son air terrible, elle était d’une douceur de mouton. Très-courageuse à la