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LES ROUGON-MACQUART.

Roide, muette, elle le regardait jouer pendant des heures, écoutant avec ravissement le tapage intolérable dont il emplissait la vieille masure. Cette tombe était toute vibrante de bruit, depuis que Silvère la parcourait à califourchon sur un manche à balai, se cognant dans les portes, pleurant et criant. Il ramenait Adélaïde sur cette terre ; elle s’occupait de lui avec des maladresses adorables ; elle qui avait dans sa jeunesse oublié d’être mère pour être amante, éprouvait les voluptés divines d’une nouvelle accouchée, à le débarbouiller, à l’habiller, à veiller sans cesse sur sa frêle existence. Ce fut un réveil d’amour, une dernière passion adoucie que le ciel accordait à cette femme toute dévastée par le besoin d’aimer. Touchante agonie de ce cœur qui avait vécu dans les désirs les plus âpres et qui se mourait dans l’affection d’un enfant.

Elle était trop morte déjà pour avoir les effusions bavardes des grand’mères bonnes et grasses ; elle adorait l’orphelin secrètement, avec des pudeurs de jeune fille, sans pouvoir trouver des caresses. Parfois, elle le prenait sur ses genoux, elle le regardait longuement de ses yeux pâles. Lorsque le petit, effrayé par ce visage blanc et muet, se mettait à sangloter, elle paraissait confuse de ce qu’elle venait de faire, elle le remettait vite sur le sol sans l’embrasser. Peut-être lui trouvait-elle une lointaine ressemblance avec le braconnier Macquart.

Silvère grandit dans un continuel tête-à-tête avec Adélaïde. Par une cajolerie d’enfant, il l’appelait tante Dide, nom qui finit par rester à la vieille femme ; le nom de tante, ainsi employé, est, en Provence, une simple caresse. L’enfant eut pour sa grand’mère une singulière tendresse mêlée d’une terreur respectueuse. Quand il était tout petit et qu’elle avait une crise nerveuse, il se sauvait en pleurant, épouvanté par la décomposition de son visage ; puis il revenait timidement après l’attaque, prêt à se sauver encore, comme si la