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LA FORTUNE DES ROUGON.

bêtes ! Vous vous laisseriez entortiller comme des enfants. Ils voudraient tous me voir mort. Lorsque je serai malade, je vous prie de ne plus aller chercher mon neveu, car je n’étais pas déjà si tranquille que ça, de me sentir entre ses mains. C’est un médecin de quatre sous, il n’a pas une personne comme il faut dans sa clientèle.

Puis Macquart, une fois lancé, ne s’arrêtait plus.

— C’est comme cette petite vipère d’Aristide, disait-il, c’est un faux frère, un traître. Est-ce que tu te laisses prendre à ses articles de l’Indépendant, toi, Silvère ? Tu serais un fameux niais. Ils ne sont pas même écrits en français, ses articles. J’ai toujours dit que ce républicain de contrebande s’entendait avec son digne père pour se moquer de nous. Tu verras comme il retournera sa veste… Et son frère, l’illustre Eugène, ce gros bêta dont les Rougon font tant d’embarras ! Est-ce qu’ils n’ont pas le toupet de prétendre qu’il a à Paris une belle position ! Je la connais, moi, sa position. Il est employé à la rue de Jérusalem ; c’est un mouchard…

— Qui vous l’a dit ? Vous n’en savez rien, interrompait Silvère, dont l’esprit droit finissait par être blessé des accusations mensongères de son oncle.

— Ah ! je n’en sais rien ? Tu crois cela ? Je te dis que c’est un mouchard… Tu te feras tondre comme un agneau, avec ta bienveillance. Tu n’es pas un homme. Je ne veux pas dire du mal de ton frère François ; mais, à ta place, je serais joliment vexé de la façon pingre dont il se conduit à ton égard ; il gagne de l’argent gros comme lui, à Marseille, et il ne t’enverrait jamais une misérable pièce de vingt francs pour tes menus plaisirs. Si tu tombes un jour dans la misère, je ne te conseille pas de t’adresser à lui.

— Je n’ai besoin de personne, répondait le jeune homme d’une voix fière et légèrement altérée. Mon travail nous suffit, à moi et à tante Dide. Vous êtes cruel, mon oncle.

— Moi je dis la vérité, voilà tout… Je voudrais t’ouvrir