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LA FORTUNE DES ROUGON.

raient. Mais elle mettait tout son courage à ne pas se plaindre ; il lui eût trop coûté d’avouer qu’elle n’avait pas la force d’un garçon. Dès les premières lieues, Silvère lui avait donné le bras ; puis, voyant que le drapeau glissait peu à peu de ses mains roidies, il avait voulu le prendre, pour la soulager ; et elle s’était fâchée, elle lui avait seulement permis de soutenir le drapeau d’une main, tandis qu’elle continuerait à le porter sur son épaule. Elle garda ainsi son attitude héroïque avec une opiniâtreté d’enfant, souriant au jeune homme chaque fois qu’il lui jetait un regard de tendresse inquiète. Mais quand la lune se cacha, elle s’abandonna dans le noir. Silvère la sentait devenir plus lourde à son bras. Il dut porter le drapeau et la prendre à la taille, pour l’empêcher de trébucher. Elle ne se plaignait toujours pas.

— Tu es bien lasse, ma pauvre Miette ? lui demanda son compagnon.

— Oui, un peu lasse, répondit-elle d’une voix oppressée.

— Veux-tu que nous nous reposions ?

Elle ne dit rien ; seulement il comprit qu’elle chancelait. Alors il confia le drapeau à un des insurgés et sortit des rangs, en emportant presque l’enfant dans ses bras. Elle se débattit un peu, elle était confuse d’être si petite fille. Mais il la calma, il lui dit qu’il connaissait un chemin de traverse qui abrégeait la route de moitié. Ils pouvaient se reposer une bonne heure et arriver à Orchères en même temps que la bande.

Il était alors environ six heures. Un léger brouillard devait monter de la Viorne. La nuit semblait s’épaissir encore. Les jeunes gens grimpèrent à tâtons le long de la pente des Garrigues, jusqu’à un rocher, sur lequel ils s’assirent. Autour d’eux se creusait un abîme de ténèbres. Ils étaient comme perdus sur la pointe d’un récif, au-dessus du vide. Et dans ce vide, quand le roulement sourd de la petite armée se fut