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LES ROUGON-MACQUART.


Le jeune homme lui donna un nouveau baiser sur la bouche, en murmurant :

— Tu seras ma femme, personne n’osera plus te nuire.

— Oh ! je t’en supplie, dit-elle avec un faible cri, ne m’embrasse pas comme cela. Ça me fait mal.

Puis, au bout d’un silence :

— Tu sais bien que je ne puis être ta femme. Nous sommes trop jeunes. Il me faudrait attendre, et je mourrais de honte. Tu as tort de te révolter, tu seras bien forcé de me laisser dans quelque coin.

Alors Silvère, à bout de force, se mit à pleurer. Les sanglots d’un homme ont des sécheresses navrantes. Miette, effrayée de sentir le pauvre garçon secoué dans ses bras, le baisa au visage, oubliant qu’elle brûlait ses lèvres. C’était sa faute. Elle était une niaise de n’avoir pu supporter la douceur cuisante d’une caresse. Elle ne savait pas pourquoi elle avait songé à des choses tristes, juste au moment où son amoureux l’embrassait comme il ne l’avait jamais fait encore. Et elle le pressait contre sa poitrine pour lui demander pardon de l’avoir chagriné. Les enfants, pleurant, se serrant de leurs bras inquiets, mettaient un désespoir de plus dans l’obscure nuit de décembre. Au loin, les cloches continuaient à se plaindre sans relâche, d’une voix plus haletante.

— Il vaut mieux mourir, répétait Silvère au milieu de ses sanglots, il vaut mieux mourir…

— Ne pleure plus, pardonne-moi, balbutiait Miette. Je serai forte, je ferai ce que tu voudras.

Quand le jeune homme eut essuyé ses larmes :

— Tu as raison, dit-il, nous ne pouvons retourner à Plassans. Mais l’heure n’est pas venue d’être lâche. Si nous sortons vainqueurs de la lutte, j’irai chercher tante Dide, nous l’emmènerons bien loin avec nous. Si nous sommes vaincus…