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LA FORTUNE DES ROUGON.

nant, cette puberté admirable. Ses larmes trempaient ses lèvres. Il collait sa bouche sanglotante sur la peau de l’enfant. Ces baisers d’amant mirent une dernière joie dans les yeux de Miette. Ils s’aimaient, et leur idylle se dénouait dans la mort.

Mais lui ne pouvait croire qu’elle allait mourir. Il disait :

— Non, tu vas voir, ça n’est rien… Ne parle pas, si tu souffres… Attends, je vais te soulever la tête ; puis je te réchaufferai, tu as les mains glacées.

La fusillade reprenait, à gauche, dans les champs d’oliviers. Des galops sourds de cavalerie montaient de la plaine des Nores. Et, par instants, il y avait de grands cris d’hommes qu’on égorge. Des fumées épaisses arrivaient, traînaient sous les ormes de l’esplanade. Mais Silvère n’entendait plus, ne voyait plus. Pascal, qui descendait en courant vers la plaine, l’aperçut, vautré à terre, et s’approcha, le croyant blessé. Dès que le jeune homme l’eut reconnu, il se cramponna à lui. Il lui montrait Miette.

— Voyez donc, disait-il, elle est blessée, là, sous le sein… Ah ! que vous êtes bon d’être venu ; vous la sauverez.

À ce moment, la mourante eut une légère convulsion. Une ombre douloureuse passa sur son visage, et, de ses lèvres serrées qui s’ouvrirent, sortit un petit souffle. Ses yeux, tout grands ouverts, restèrent fixés sur le jeune homme.

Pascal, qui s’était penché, se releva en disant à demi-voix :

— Elle est morte.

Morte ! ce mot fit chanceler Silvère. Il s’était remis à genoux ; il tomba assis, comme renversé par le petit souffle de Miette.

— Morte ! morte ! répéta-t-il, ce n’est pas vrai, elle me regarde… Vous voyez bien qu’elle me regarde.