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LA FORTUNE DES ROUGON.

bonne du conseiller municipal parlementa longtemps avant de les introduire, et ils entendaient la voix tremblante du pauvre homme, qui criait du premier étage :

— N’ouvrez pas, Catherine ! les rues sont infestées de brigands.

Il était dans sa chambre à coucher, sans lumière. Quand il reconnut ses deux bons amis, il fut soulagé ; mais il ne voulut pas que la bonne apportât une lampe, de peur que la clarté ne lui attirât quelque balle. Il semblait croire que la ville était encore pleine d’insurgés. Renversé sur un fauteuil, près de la fenêtre, en caleçon et la tête enveloppée d’un foulard, il geignait :

— Ah ! mes amis, si vous saviez !… J’ai essayé de me coucher ; mais ils faisaient un tapage ! Alors je me suis jeté dans ce fauteuil. J’ai tout vu, tout. Des figures atroces, une bande de forçats échappés. Puis ils ont repassé ; ils entraînaient le brave commandant Sicardot, le digne M. Garçonnet, le directeur des postes, tous ces messieurs, en poussant des cris de cannibales !…

Rougon eut une joie chaude. Il fit répéter à Granoux qu’il avait bien vu le maire et les autres au milieu de ces brigands.

— Quand je vous le dis ! pleurait le bonhomme ; j’étais derrière ma persienne… C’est comme M. Peirotte, ils sont venus l’arrêter ; je l’ai entendu qui disait, en passant sous ma fenêtre : « Messieurs, ne me faites pas de mal. » Ils devaient le martyriser… C’est une honte, une honte…

Roudier calma Granoux en lui affirmant que la ville était libre. Aussi le digne homme fut-il pris d’une belle ardeur guerrière, lorsque Pierre lui apprit qu’il venait le chercher pour sauver Plassans. Les trois sauveurs délibérèrent. Ils résolurent d’aller éveiller chacun leurs amis et de leur donner rendez-vous dans le hangar, l’arsenal secret de la réaction. Rougon songeait toujours aux grands gestes de Félicité, flai-