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LES ROUGON-MACQUART.


— Je vous remercie bien, monsieur, répondit Rengade ; mais, voyez-vous, ce qui me soulagerait mieux que tous les remèdes, ce serait de tordre le cou au misérable qui m’a crevé l’œil. Oh ! je le reconnaîtrai ; c’est un petit maigre, pâlot, tout jeune…

Pierre se souvint du sang qui couvrait les mains de Silvère. Il eut un léger mouvement de recul, comme s’il eût craint que Rengade ne lui sautât à la gorge, en disant : « C’est ton neveu qui m’a éborgné ; attends, tu vas payer pour lui ! » Et, tandis qu’il maudissait tout bas son indigne famille, il déclara solennellement que, si le coupable était retrouvé, il serait puni avec toute la rigueur des lois.

— Non, non, ce n’est pas la peine, répondit le borgne ; je lui tordrai le cou.

Rougon s’empressa de regagner la mairie. L’après-midi fut employé à prendre diverses mesures. La proclamation, affichée vers une heure, produisit une impression excellente. Elle se terminait par un appel au bon esprit des citoyens, et donnait la ferme assurance que l’ordre ne serait plus troublé. Jusqu’au crépuscule, les rues, en effet, offrirent l’image d’un soulagement général, d’une confiance entière. Sur les trottoirs, les groupes qui lisaient la proclamation disaient :

— C’est fini, nous allons voir passer les troupes envoyées à la poursuite des insurgés.

Cette croyance que des soldats approchaient devint telle, que les oisifs du cours Sauvaire se portèrent sur la route de Nice pour aller au-devant de la musique. Ils revinrent, à la nuit, désappointés, n’ayant rien vu. Alors, une inquiétude sourde courut la ville.

À la mairie, la commission provisoire avait tant parlé pour ne rien dire, que les membres, le ventre vide, effarés par leurs propres bavardages, sentaient la peur les reprendre. Rougon les envoya dîner, en les convoquant de nouveau pour neuf heures du soir. Il allait lui-même quitter le cabi-