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LES ROUGON-MACQUART.

les gouttes larges se changeaient en pièces d’or sur le carreau.

Le lendemain, avant le jour, Félicité alla à la mairie, munie des instructions de Pierre, pour pénétrer près de Macquart. Elle emportait, dans une serviette, l’uniforme de garde national de son mari. D’ailleurs, elle n’aperçut que quelques hommes dormant à poings fermés dans le poste. Le concierge, qui était chargé de nourrir le prisonnier, monta lui ouvrir le cabinet de toilette, transformé en cellule. Puis il redescendit tranquillement.

Macquart était enfermé dans le cabinet depuis deux jours et deux nuits. Il avait eu le temps d’y faire de longues réflexions. Lorsqu’il eut dormi, les premières heures furent données à la colère, à la rage impuissante. Il éprouvait des envies de briser la porte, à la pensée que son frère se carrait dans la pièce voisine. Et il se promettait de l’étrangler de ses propres mains lorsque les insurgés viendraient le délivrer. Mais le soir, au crépuscule, il se calma, il cessa de tourner furieusement dans l’étroit cabinet. Il y respirait une odeur douce, un sentiment de bien-être qui détendait ses nerfs. M. Garçonnet, fort riche, délicat et coquet, avait fait arranger ce réduit d’une très-élégante façon ; le divan était moelleux et tiède ; des parfums, des pommades, des savons garnissaient le lavabo de marbre, et le jour pâlissant tombait du plafond avec des voluptés molles, pareil aux lueurs d’une lampe pendue dans une alcôve. Macquart, au milieu de cet air musqué, fade et assoupi, qui traîne dans les cabinets de toilette, s’endormit en pensant que ces diables de riches « étaient bien heureux tout de même. » Il s’était couvert d’une couverture qu’on lui avait donnée. Il se vautra jusqu’au matin, la tête, le dos, les bras appuyés sur les oreillers. Quand il ouvrit les yeux, un filet de soleil glissait par la baie. Il ne quitta pas le divan, il avait chaud, il songea en regardant autour de lui. Il se disait que jamais il n’aurait