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LES ROUGON-MACQUART.

tout à l’heure à ma femme : Rougon est un grand homme, il mérite d’être décoré.

Alors, ces messieurs parlèrent d’aller à la rencontre du préfet. Rougon, étourdi, suffoqué, ne pouvant croire à ce triomphe brusque, balbutiait comme un enfant. Il reprit haleine ; il descendit, calme, avec la dignité que réclamait cette solennelle occasion. Mais l’enthousiasme qui accueillit la commission et son président sur la place de l’hôtel de ville, faillit troubler de nouveau sa gravité de magistrat. Son nom circulait dans la foule, accompagné cette fois des éloges les plus chauds. Il entendit tout un peuple refaire l’aveu de Granoux, le traiter de héros resté debout et inébranlable au milieu de la panique universelle. Et, jusqu’à la place de la sous-préfecture, où la commission rencontra le préfet, il but sa popularité, sa gloire, avec des pâmoisons secrètes de femme amoureuse dont les désirs sont enfin assouvis.

M. de Blériot et le colonel Masson entrèrent seuls dans la ville, laissant la troupe campée sur la route de Lyon. Ils avaient perdu un temps considérable, trompés sur la marche des insurgés. D’ailleurs, ils les savaient maintenant à Orchères ; ils ne devaient s’arrêter qu’une heure à Plassans, le temps de rassurer la population et de publier les cruelles ordonnances qui décrétaient la mise sous séquestre des biens des insurgés, et la mort pour tout individu surpris les armes à la main. Le colonel Masson eut un sourire, lorsque le commandant de la garde nationale fit tirer les verrous de la porte de Rome, avec un bruit épouvantable de vieille ferraille. Le poste accompagna le préfet et le colonel, comme garde d’honneur. Tout le long du cours Sauvaire, Roudier raconta à ces messieurs l’épopée de Rougon, les trois jours de panique, terminés par la victoire éclatante de la dernière nuit. Aussi, quand les deux cortéges se trouvèrent face à face, M. de Blériot s’avança-t-il vivement vers le président de la commission, lui serrant les mains, le félicitant, le priant de