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LA FORTUNE DES ROUGON.

ses duretés par l’inconduite de sa mère. Il la punissait comme on punit un enfant. Les rôles étaient renversés. Sous cette férule toujours levée, la pauvre femme se courbait. Elle était à peine âgée de quarante-deux ans, et elle avait des balbutiements d’épouvante, des airs vagues et humbles de vieille femme tombée en enfance. Son fils continuait à la tuer de ses regards sévères, espérant qu’elle s’enfuirait, le jour où elle serait à bout de courage. La malheureuse souffrait horriblement de honte, de désirs contenus, de lâchetés acceptées, recevant passivement les coups et retournant quand même à Macquart, prête à mourir sur la place plutôt que de céder. Il y avait des nuits où elle se serait levée pour courir se jeter dans la Viorne, si sa chair faible de femme nerveuse n’avait eu une peur atroce de la mort. Plusieurs fois, elle rêva de fuir, d’aller retrouver son amant à la frontière. Ce qui la retenait au logis, dans les silences méprisants et les secrètes brutalités de son fils, c’était de ne savoir où se réfugier. Pierre sentait que depuis longtemps elle l’aurait quitté, si elle avait eu un asile. Il attendait l’occasion de lui louer quelque part un petit logement, lorsqu’un accident, sur lequel il n’osait compter, brusqua la réalisation de ses désirs. On apprit, dans le faubourg, que Macquart venait d’être tué à la frontière par le coup de feu d’un douanier, au moment où il entrait en France toute une cargaison de montres de Genève. L’histoire était vraie. On ne ramena pas même le corps du contrebandier, qui fut enterré dans le cimetière d’un petit village des montagnes. La douleur d’Adélaïde fut stupide. Son fils, qui l’observa curieusement, ne lui vit pas verser une larme. Macquart l’avait faite sa légataire. Elle hérita de la masure de l’impasse Saint-Mittre et de la carabine du défunt, qu’un contrebandier, échappé aux balles des douaniers, lui rapporta loyalement. Dès le lendemain, elle se retira dans la petite maison ; elle pendit la carabine au-dessus de la che-