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LA JOIE DE VIVRE.

de foie gras. Les yeux de Chanteau s’allumèrent. Du foie gras ! du fruit défendu ! une friandise adorée que son médecin lui interdisait absolument !

— Seulement, tu sais, continuait sa femme, je ne t’en permets qu’une tartine… Sois raisonnable, ou tu n’en auras jamais plus.

Il avait saisi la terrine, il se servait d’une main tremblante. Souvent, de terribles combats se livraient ainsi entre sa terreur d’un accès et la violence de sa gourmandise ; et, presque toujours, la gourmandise était la plus forte. Tant pis ! c’était trop bon, il souffrirait !

Véronique, qui l’avait regardé se tailler une large tranche, retourna dans sa cuisine, en murmurant :

— Ah bien ! ce que monsieur gueulera !

Ce mot revenait naturellement dans sa bouche, les maîtres l’avaient accepté, tant elle le disait d’une façon simple. Monsieur gueulait, quand il avait une crise ; et c’était tellement ça, qu’on ne songeait point à la rappeler au respect.

La fin du dîner fut très gaie. Lazare, en plaisantant, ôta la terrine des mains de son père. Mais, lorsque le dessert parut, un fromage de Pont-l’Evêque et des biscuits, la grande joie fut une brusque apparition de Mathieu. Jusque-là, il avait dormi quelque part, sous la table. L’arrivée des biscuits venait de l’éveiller, il semblait les sentir dans son sommeil ; et, tous les soirs, à ce moment précis, il se secouait, il faisait sa ronde, guettant les cœurs sur les visages. D’habitude, c’était Lazare qui se laissait le plus vite apitoyer ; seulement, ce soir-là, Mathieu, à son deuxième tour, regarda fixement Pauline, de ses bons yeux humains ; puis, devinant une grande amie des bêtes et des gens, il posa sa tête énorme sur