Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/210

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battaient dans le vide, le tremblement de son corps ne cessait point, tandis qu’il fixait obstinément les yeux sur la fenêtre. Alors, pour la première fois depuis la rupture, elle le baisa au front, comme jadis. Ils se retrouvaient côte à côte dans cette chambre où ils avaient grandi, toute leur rancune sombrait au fond du grand chagrin dont ils étaient menacés. Elle essuya ses yeux. Lui, ne pouvant pleurer, répétait machinalement :

— Elle est perdue, elle est perdue.

Vers onze heures, lorsque le docteur Cazenove entra, ainsi qu’il le faisait d’ordinaire chaque semaine, en remontant de Bonneville, il parut très étonné de trouver madame Chanteau au lit. Qu’avait-elle donc, cette chère dame ? et il plaisantait même : toute la maison était trop douillette, on allait décidément la transformer en ambulance. Mais, quand il eut examiné, palpé, ausculté la malade, il devint plus grave ; même il eut besoin de sa grande habitude, pour ne pas laisser percer un peu d’effarement.

Du reste, madame Chanteau n’avait nullement conscience de la gravité de son état.

— J’espère que vous allez me tirer de là, docteur, dit-elle d’une voix gaie. Voyez-vous, je n’ai qu’une peur, c’est que cette enflure ne m’étouffe, si elle monte toujours.

— Soyez tranquille, ça ne monte pas comme ça, répondit-il en riant aussi. Puis, nous saurons bien l’arrêter.

Lazare, qui était rentré après l’examen, l’écoutait en frémissant, brûlant de le tenir à l’écart et de le questionner, pour savoir enfin.

— Là, chère madame, continuait le docteur, ne vous tourmentez pas, je reviendrai demain causer