Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/293

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C’était un vieux gant oublié par Louise, et qu’il venait de retrouver derrière une pile de livres. Le gant, en peau de Saxe, avait gardé une odeur forte, cette odeur de fauve particulière, que le parfum préféré de la jeune fille, l’héliotrope, adoucissait d’une pointe vanillée ; et, très impressionnable aux senteurs, violemment troublé par ce mélange de fleur et de chair, il était resté éperdu, le gant sur la bouche, buvant la volupté de ses souvenirs.

Dès ce jour, par-dessus le vide béant que la mort de sa mère creusait en lui, il se remit à désirer Louise. Il ne l’avait jamais oubliée sans doute ; mais elle sommeillait dans sa douleur ; et il fallait cette chose d’elle, pour l’éveiller vivante, avec la chaleur même de son haleine. Quand il était seul, il reprenait le gant, le respirait, le baisait, croyait encore qu’il la tenait à pleins bras, la bouche enfoncée dans sa nuque. Le malaise nerveux où il vivait, l’excitation de ses longues paresses, rendaient plus vive cette griserie charnelle. C’étaient de véritables débauches où il s’épuisait. Et s’il en sortait mécontent de lui, il y retombait quand même, emporté par une passion dont il n’était pas le maître. Cela augmenta son humeur sombre, il en arrivait à se montrer brusque avec sa cousine, comme s’il lui gardait rancune de ses propres abandons. Elle ne disait rien à sa chair, et il se sauvait parfois d’une causerie gaie et tranquille qu’ils avaient ensemble, pour courir à son vice, s’enfermer, se vautrer dans le souvenir brûlant de l’autre. Ensuite, il redescendait, avec le dégoût de la vie.

En un mois, il changea tellement, que Pauline, désespérée, passait des nuits affreuses. Le jour encore, elle demeurait vaillante, toujours debout dans cette